Mardi soir, en prenant l’apéro avec Matthieu, nous avons évoqué l’esprit du mahjong. L’ami de Matthieu qui lui avait appris le jeu lui a aussi transmis une phrase très juste : «le but du mahjong n’est pas de gagner mais de ne pas perdre». Comme toutes les phrases très justes il y a plein de façons de la comprendre, dont toutes ne sont pas aussi justes. Voici quelques petits éclaircissements.
Gamble
Si je me permet d’utiliser ce mot anglais, c’est que je ne connais pas de mot français transmettant exactement les mêmes nuances. Le gambling désigne les jeux d’argent et de paris, mais aussi un état d’esprit. Au Japon, où le mahjong est principalement un jeu d’argent, la plupart des joueurs vous diront avec une pointe d’arrogance dans la voix qu’ils gyamburu, qu’ils « gamblent ». Il y a un autre type d’homme qui vous parlera de gamble, mais cette fois avec une pointe d’ironie : ce sont les stock brokers. Ironie parce qu’ils vous prennent pour un simplet, quelqu’un qui n’a pas compris que tout, dans la vie, est gamble.
La vie est un jeu
L’idée que tout dans la vie est gamble demande qu’on définisse plus précisément le terme. En y regardant de plus près, il s’agit de gestion de risques et de bénéfices —on retombe sur les stock brokers. Tous les aspects de la vie peuvent être approchés de cette façon. Au quotidien, cela peut être investir les 10 € que coûtent une place de cinéma dans un blockbuster qui ne nous surprendra ni en bien ni en mal (investissement sûr à faible rendement) ou bien un film inconnu qui s’il peut être une agréable surprise peut aussi s’avérer une amère déception (investissement risqué à haut rendement). Autre exemple à plus long terme : le fait de choisir une profession classique dont on cerne les enjeux ou bien tenter de devenir rock star avec la possibilité d’être mondialement connu comme de ne pas manger à sa faim. Quasiment chaque acte relevant d’une décision comporte un aspect d’évaluation des risques et des bénéfices, même si les actions les plus courantes n’en ont pas l’air du fait qu’elles font consensus.
Destins, le jeu de la vie
Le mahjong est donc un jeu de gambling : qu’on y joue réellement pour de l’argent ou non le mécanisme met en scène le hasard et la façon dont nous choisissons de nous y confronter. On commence avec un certain nombres de points, un capital, qu’on va devoir gérer. On va parier sur sa propre chance, plus ou moins gros, en tentant d’équilibrer le risque pris avec ce qu’on a à y gagner. Ce qui revient à dire « avec ce qu’on a à y perdre » : selon l’adage disant qu’un sou sauvé est un sou gagné, se débrouiller pour ne pas lâcher de points est déjà pas mal —il est théoriquement possible de gagner un tournoi sans gagner une seule main. Tenter de toujours finir premier, en revanche, peut s’avérer payant mais peut aussi mener à la banqueroute. Selon la logique du risque et du bénéfice, la première approche représente l’investissement le plus sûr mais le moins rémunérateur, alors que la deuxième approche est à l’opposé.
Trouver l’équilibre
Encore une fois les principes de la vie courante peuvent s’appliquer au mahjong : il faut donc trouver le juste milieu, ce qu’on appelle financièrement une bonne gestion. Si l’on regarde la façon de gérer une entreprise ou un foyer, il est généralement conseillé de privilégier une gestion assez sûre, avec ponctuellement une prise de risque mesurée. Une entreprise suivant ces principes a des chances de connaître une croissance tranquille mais constante, et une certaine pérennité une fois la taille optimale atteinte. A l’inverse, une entreprise prenant de forts risques peut grossir très rapidement mais aussi se dissoudre tout aussi vite. Au mahjong cela se traduit par la phrase sur laquelle j’ai commencé cet article : la meilleure stratégie sur le long terme, et qui est privilégiée par la plupart des joueurs avancés, est avant tout de ne pas payer, c’est à dire de ne pas jeter de tuiles faisant gagner les autres, et de récolter des points au passage lorsque c’est possible. S’il peut être frustrant au début d’abandonner toute idée de gagner plus de la moitié du temps, au bout d’un certain temps il devient extrêmement satisfaisant lorsqu’un adversaire devant lequel on a plié dévoile sa main de constater que ses tuiles gagnantes sont celles que l’on a choisi de ne pas jeter et pour lesquelles on a cassé sa main. Cette sensation d’avoir bien mené sa barque et d’être passé tout près du maelström est infiniment plus gratifiante que tous les baimans !