Pour commencer, une petite question afin de mettre les choses en perspective. Prenons comme exemple une discipline athlétique assez connue, et une star qui en détient le record : le 100m et Usain Bolt. Entre un athlète de classe mondiale détenteur du record du monde et un athlète de bon niveau mais plus ordinaire, à combien estimez-vous la différence ?
Pour Usain Bolt, les données sont faciles à trouver : wikipédia nous informe que son record du monde est de 9″58. Pour essayer de trouver un temps représentatif d’un athlète ordinaire, regardons autour de nous. À Marseille il y a Chuuren potos mahjong bien sûr, mais on trouve assez rapidement sur Google le SCO Ste Marguerite Athlétisme. Sur leur page dédiée aux records, dans la même catégorie d’âge qu’Usain Bolt, on trouve pour le 100m un dénommé Thierry Lubin. Si on recherche un peu son historique, on voit qu’il a participé régulièrement à des compétitions régionales et parfois nationales, et à une poignée de compétitions internationales. Il semble donc correspondre à ce qu’on recherche : c’est un athlète, quelqu’un qui s’entraine régulièrement et qui atteint un certain niveau, mais il reste au sein du commun des mortels. Le record de Thierry Lubin au sein du SCO Ste Marguerite Athlétisme pour le 100 m est de 10″31. C’est 73 centièmes de secondes ou 7,6 % de plus qu’Usain Bolt.
Voilà la différence entre un athlète sérieux mais ordinaire et “La Foudre” : 7,6 %. Un écart d’une importance somme toute assez relative.
Vous aurez sûrement compris où je voulais en venir : dans une discipline donnée, il y a beaucoup de bons joueurs, quelques très bons joueurs, et une poignée de joueurs exceptionnels (et de l’autre côté, quelques mauvais joueurs et une poignée de joueurs horribles, on pourrait peut-être même supposer que tout cela suit une distribution gaussienne). Mais surtout, l’écart entre les bons joueurs et les joueurs exceptionnels n’est pas très grand. C’est vrai également au mahjong. Ce qui sépare un bon joueur d’un joueur exceptionnel, ce sont quelques pourcents de victoires en plus. Se reposer sur ses lauriers en se disant qu’on n’est pas très loin d’un joueur que l’on prend comme référence est donc un leurre. Penser en regardant un tel joueur jouer : «j’aurais fait pareil que lui sauf sur une seule défausse, on doit donc être du même niveau», c’est s’accorder une indulgence trompeuse. Surtout qu’au mahjong les choix se font de manière séquentielle, faire un seul choix différent c’est donc prendre un tout autre chemin sur l’arbre des possibles.
Au final, ce sont de petits détails qui font toute la différence. Dans la plupart des cas le coup à jouer s’impose de lui-même et fait consensus, mais savoir repérer certaines situations particulières et discriminer entre deux choix apparemment équivalents, c’est ce qui vous fera passer dans la catégorie supérieure. Des points de détails qui peuvent sembler triviaux sont déterminants sur le long terme.
Par exemple, passé un certain niveau, beaucoup de joueurs estiment qu’ils savent lire leur main et arrêtent de s’y entraîner. En réalité, c’est un entraînement qu’il faut maintenir de façon constante afin de conserver l’habileté mentale nécessaire. Pour reprendre l’exemple du 100m, ce n’est pas parce qu’on est passé une fois sous les 10 secondes que cette capacité restera pour toujours. Qui plus est, il est facile de considérer qu’on a atteint un niveau satisfaisant parce qu’on est capable de lire toutes les attentes composées de deux attentes simples. Mais il arrive de tomber sur des attentes réellement compliquées, et choisir une attente excellente plutôt qu’une attente très bonne est toujours bon à prendre (surtout quand il s’agit d’une main à forte valeur contre laquelle les autres joueurs défendent bec et ongles) !
Même chose pour la défausse des tuiles “inutiles”. Bien souvent, en particulier en début de donne, un certain nombre de tuiles ont très peu de chances de former un élément, et il faut généralement les défausser en premier. Mais parmi ces tuiles, ont-elles toutes la même valeur ? Si à l’heure actuelle elles ne forment rien, n’y en a-t-il pas qui sur le long terme ont plus de chances de s’associer avec une autre ? Dans l’éventualité peu probable où on réussirait à les utiliser, apporteront-elles toutes le même avantage à la main ? Même si aucune ne nous sert, ont-elles toutes la même probabilité d’être inutiles également à nos adversaires ? Toutes ces questions permettent d’établir un ordre de défausse idéal dans une situation donnée, qui s’il est d’une importance mineure n’est cependant pas négligeable.
Il y a aussi le cas de la prise de danger. Tout le monde s’accorde à dire que pour gagner au mahjong il faut se défendre mais aussi être capable de pousser sa main dans certaines circonstances. C’est un concept très important, mais ce n’est pas le tout de le répéter jusqu’à en faire un poncif. Quel est le bon équilibre entre attaque et défense ? Dans beaucoup de cas tous les joueurs seront d’accords sur le fait qu’il faut abandonner sa main ou au contraire qu’elle vaut la peine d’être poussée. Mais là encore, ce sera la capacité de juger des cas limites qui fera la différence ! Remettre en question ses décisions et essayer de les évaluer rétrospectivement, et se forcer à faire ce qu’un raisonnement basé sur des faits nous dicte plutôt que de suivre nos intuitions et nos envies, sont deux qualités essentielles du bon joueur de mahjong, malgré la difficulté de maintenir cette attitude rigoureuse.
Vous avez compris l’idée, je ne vais donc pas faire une liste exhaustive de tout ce qu’il faut faire pour bien jouer sinon cet article va devenir un livre de stratégie. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a plein de choix mineurs qui s’ils ont beau n’avoir qu’une influence très réduite sur l’issue d’une partie restent des outils importants pour gagner. Ne pas prendre la décision optimale sur un seul de ces éléments ne changera pas grand-chose, mais en additionnant tous ces petits détails on commence à avoir quelque chose de tangible. Se battre sur tous les fronts et tenter de maitriser l’ensemble de ces pécadilles est le seul moyen de dépasser un niveau correct et se démarquer du lot. Penser qu’on a déjà un bon niveau et qu’il n’y a rien de significatif à améliorer, c’est déjà régresser, parce que dans un jeu de hasard comme le mahjong même les choses qui semblent les plus insignifiantes peuvent faire basculer la balance. Passer à côté de ces petits détails, c’est passer à côté d’une bonne partie du jeu !